Depuis l’intervention militaire russe en Ukraine, des voix s’élèvent en Suisse afin que cette dernière se rapproche ou opère une collaboration plus étroite avec l’OTAN. Comment un tel rapprochement se concrétiserait ? Cela reste un mystère. D’autant plus que la Suisse collabore déjà avec l’OTAN dans les opérations de maintien de la paix à l’étranger et qu’elle fait déjà partie du Partenariat pour la Paix de l’OTAN1.
Sa décision d’y participer en novembre 1996 a constitué une manœuvre surprenante. En effet, après 1945, la Suisse a continué de poursuivre sa politique de neutralité qui lui a permis de demeurer indemne au terme des deux guerres mondiales en dépit de sa position géographique au cœur de l’Europe2.
A sa décharge, et même si des forces politiques s’offusquaient à l’époque d’un tel partenariat3, lorsque la Suisse a pris cette décision, l’OTAN n’avait pas encore connue ses dérives ultérieures et le titre du partenariat augurait de louables intentions. A l’origine, l’objectif de la création de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord trouve sa source dans la velléité d’être un contrepoids à l’Union soviétique4. Elle fût conçue comme une force de défense mutuelle et non pas comme une force d’intervention5.
Or, avec ses interventions armées en Serbie et en Libye, l’OTAN est devenue une force d’intervention qui agît au gré de ses intérêts.
Au récent sommet de Madrid, l’OTAN a adopté sa nouvelle feuille de route qui place la Russie comme étant la menace la plus dangereuse pour les pays membres de l’organisation6. Cet état de fait a pour corollaire que le risque d’escalade diplomatique et militaire n’est pas à exclure, tant s’en faut. Dans ce contexte, la Suisse serait mal avisée d’effectuer un rapprochement avec l’OTAN.
Rien ne lui garantit qu’en cas de conflit conventionnel sur son territoire les membres de l’OTAN la soutiendrait. La crise des otages libyens a démontré que la Suisse se retrouve bien seule à l’heure de se défendre dans un contentieux interétatique. Et l’exemple de la Géorgie lors de la guerre russo-géorgienne en 2008 démontre que la proximité avec l’OTAN n’est pas gage d’être défendu par cette dernière7.
En revanche, le risque que la Russie la considère comme encore plus inamicale qu’actuellement est conséquent. Dès lors, elle aurait tout à perdre. Enfin, se pose également la question de l’aspect éthique de collaborer avec une entité qui a effectué des guerres illégales depuis qu’elle s’est commuée en force d’intervention.
Quelle stratégie de défense pour la Suisse ?
La stratégie de défense de la Suisse doit reposer sur deux axes : une neutralité stricte qui ne laisse pas de place au doute dans l’inconscient collectif des Etats ainsi qu’une politique armée qui soit suffisamment crédible pour être dissuasive. Au risque de nous répéter, par son caractère impermanent, volontaire et la périodicité de ses activités, l’Armée suisse répond aux critères kantiens de Paix perpétuelle8. Si chaque Etat prenait exemple sur la Suisse dans ce domaine, le monde pourrait se rapprocher de la paix.
Source: cet article a été publié pour la première sur le site LesObservateurs.ch le 1er juillet 2022 et a été reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur, Gjon Haskaj.
- Le PpP est un instrument de coopération souple entre l’OTAN et ses partenaires. 21 Etats d’Europe de l’Est et du Sud-Est, du Sud-Caucase, d’Asie centrale et d’Europe occidentale, notamment six pays européens : la Suisse, l’Autriche, la Finlande, l’Irlande, la Suède et Malte, y ont adhéré. Chaque pays fixe bilatéralement avec l’OTAN les domaines dans lesquels il désire coopérer avec les autres membres du PpP
- Christian Nünlist – The European Neutrals and NATO Non-alignment, Partnership, Membership (Andrew Cottey (eds.), p. 181
- Julien Pomarède – La fabrique de l’OTAN, p. 7
- Paul Hellyer – Soyons conscient des manipulations de l’élite mondiale, p. 27
- Christian Nünlist – The European Neutrals and NATO Non-alignment, Partnership, Membership (Andrew Cottey (eds.), p. 181
- Emmanuel Kant – Essai philosophique sur la Paix perpétuelle p. 5