Le statut de neutralité perpétuelle de la Suisse, consacré au Congrès de Vienne de 1815, est en péril. La reprise des sanctions européennes par le Conseil fédéral constitue le franchissement d’une ligne rouge dans l’inconscient collectif international. Une collaboration plus étroite avec l’OTAN ou accession au Conseil de Sécurité de l’ONU constituerait un enterrement définitif de ce statut. En effet, un Etat neutre, s’il bénéficie de droits n’en est pas moins dépourvu de devoirs. L’un d’entre eux est l’impartialité1. Les comportements précités constituent bien évidemment des manquements au devoir d’impartialité de la Suisse.
Le droit international public est le fruit de la volonté des Etats. Dès lors, la perception de ces derniers est l’élément fondamental qui détermine et déterminera à terme le degré de neutralité de la Suisse.
Passé cette prémisse, il convient de s’interroger sur les conséquences d’une perte de neutralité pour la Suisse. Pourquoi la Suisse devrait rester neutre face au conflit ukraino-russe ?
Après la deuxième guerre mondiale, en Europe le slogan « Nie wieder Krieg » était de mise. Or, la guerre des Balkans a démontré qu’un conflit armé pouvait toujours avoir lieu près de la Suisse. D’aucuns pensaient qu’il en serait de même en Ukraine. Néanmoins, le conflit a bien lieu. Qui sait le degré d’escalade qu’il pourrait atteindre ?
En cas de conflit mondial, il importe – car c’est cela la finalité de la neutralité suisse – que les Etats belligérants reconnaissent la neutralité suisse. Ce ne sont que des considérations stratégiques qui ont amené l’Allemagne nazie à ne pas attaquer la Suisse pendant la deuxième guerre mondiale et non pas la reconnaissance du statut de neutralité helvétique. En 1939, le statut de neutralité de la Finlande n’a pas empêché Staline d’envahir cette dernière. Le concept de neutralité est donc une stratégie de défense comme une autre2.
Quid de la Croix-rouge ?
Par son caractère mononational, Max Petitpierre considérait que l’activité du CICR était tributaire de la neutralité suisse. Cornelio Sommaruga, ancien directeur du CICR, a tenu à relativiser cette assertion en prenant l’exemple des sanctions suisses à l’égard de l’Irak pendant la guerre du Golfe qui n’ont pas mis en péril l’action de la Croix-Rouge.
Soit. Cependant, nous considérons, même s’il s’agit de conjecture, qu’en cas de potentiel conflit multilatéral, la prudence doit être de mise. En effet, rien ne garantit que les parties prenantes d’un tel conflit aient la même réaction que l’Irak à l’époque. Dans ces conditions, il est impératif que la Suisse en revienne à une politique de neutralité stricte, d’autant plus que selon l’édition du 26 avril dernier du Temps, il est démontré l’inutilité des sanctions à l’égard de la Russie. Les récents mécontentements tant américains que russes envers la Suisse démontrent qu’il est impossible de faire l’unanimité. Déjà pendant la deuxième guerre mondiale, la Suisse avait été accusé de ne pas assez faire contre l’Holocauste en dépit du fait que c’était le pays ayant accueilli le plus de réfugiés juifs en Europe3.
Il est possible de s’indigner et de condamner sans prendre parti. C’est dans ce sens que les citoyens suisses doivent orienter les autorités politiques. Ils en auront l’occasion lors de l’initiative sur la neutralité prochainement lancée par l’ASIN.
- Upcher James – Neutrality in contemporary International Law, Oxford, 2020
- Reginbogin R. Herbert et Lottaz Pascal – Permanent Neutrality, A Model for Peace, Security and Justic, Lanham, 2020
- Müller Leos – Neutrality in World History, New-York, 2019,
Source: cet article a été publié pour la première sur le site LesObservateurs.ch le 8 mai 2022 et a été reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur, Gjon Haskaj.