Relations Suisse-UE : un état des lieux
La guerre en Ukraine a presque entièrement occulté un autre thème brûlant de notre politique extérieure : celui de nos relations avec l’Union européenne. Depuis l’abandon de l’accord-cadre, les tentatives de rapprochement avec l’UE se sont soldées par des échecs. Nonobstant, les pressions sur l’exécutif suisse sont on ne peut plus présentes par rapport à ce dossier.
Récemment, selon Le Temps, certaines organisations économiques, dont Economiesuisse, ont adressé des missives au Conseil fédéral ainsi qu’à la Commission européenne, les enjoignant à trouver un terrain d’entente au plus vite. De plus, dans une lettre parue dans 24Heures et la Tribune de Genève, les Conseillers d’Etat romands responsables de la formation dans leur canton respectif ont tenu des injonctions similaires à l’égard de l’exécutif suisse, mettant en exergue l’importance de faire partie intégrante du programme de recherche Horizon Europe. Réponse du président Cassis quant à ces missives : « Les organisations et associations qui écrivent des lettres n’ont en vue que leur intérêt propre, guère l’intérêt général, et se gardent d’indiquer comment résoudre notre problème avec l’UE ».
Dans sa substance, cette réponse aurait pu être la même pour les Conseillers d’Etat. Car, c’est bien là où le bât blesse : les partisans d’un accès au marché interne européen et à Horizon Europe ne sont pas à même d’offrir des solutions crédibles pour que leurs desseins se concrétisent. Cet état de fait est déplorable sachant qu’une grande partie de l’industrie exportatrice suisse serait effectivement bénéficiaire d’un accès au marché interne européen.
Et pourtant, des solutions existent. Néanmoins, le rapport de force entre la Commission européenne et le Conseil fédéral est tellement inégal (et ceci depuis les pressions européennes sur le secret bancaire suisse) qu’il n’est pas question de faire valoir les atouts de la Suisse. A titre exemplatif, la reprise des sanctions européennes contre la Russie par la Suisse ne relève pas de la normalité. L’exécutif suisse a consenti à d’énormes sacrifices – dont sa neutralité – afin de suivre l’UE contre la Russie.
Autre exemple : l’on parle beaucoup du milliard de cohésion mais ce n’est pas la seule aide que la Suisse apporte à l’Union européenne. En effet, pour la période 2013-2016, la Suisse a dépensé plus d’un 1 milliard de francs, 538 millions pour la période 2017-2020, montants répartis entre la Bosnie, le Kosovo, l’Albanie, la Macédoine et la Serbie ; ces trois derniers pays étant officiellement candidats à une adhésion à l’UE. Ce silence sur la Coopération au développement pour ces pays est dû au fait qu’ils ne sont pas membres de l’UE mais il y a tout de même trois pays sur cinq qui sont candidats à l’adhésion et la Suisse les aides à instaurer un état de droit. D’ailleurs, dans ces pays la Suisse travail de concert avec l’UE.
Ces deux exemples, qui ne sont pas exhaustifs, démontrent que la Suisse dispose d’arguments pour démontrer à l’UE que son rapport avec elle n’est pas unilatéral. Malheureusement, le rapport étant ce qu’il est, il n’en a jamais été question.
Pourquoi refuser un rapprochement institutionnel avec l’UE ?
La question peut paraître incongrue suivant le paradigme dans lequel on se trouve mais elle mérite néanmoins une réponse sérieuse et détaillée. C’est vrai, les partisans d’une adhésion peuvent arguer qu’il existe la paix grâce à l’Union européenne, la prospérité économique et que la Suisse aurait tout à gagner économiquement en adhérant. Et, comme mentionné auparavant, l’industrie exportatrice suisse retirerait un bénéfice d’accéder à un marché interne européen. Certains parlementaires lors des débats sur le milliard de cohésion ont rappelé que l’accès facilité au marché unique de 500 millions de consommateurs est une nécessité pour la Suisse : 69% des importations suisses proviennent de l’UE et 51% de nos exportations y sont destinées.
Les Britanniques ont quitté l’UE, car, entre autres, le 80% de leurs lois étaient des reprises de directives européennes. Les décisions de la Cour de justice européenne prévalaient sur les décisions britanniques. Le Droit anglais, droit de jurisprudence (la Common Law) était en train d’être remplacé par un droit codifié, ce qui était inacceptable pour les Britanniques.
Les états européens, ont délégué des prérogatives à l’Union européenne et il n’est pas possible de les récupérer de manière conventionnelle. C’est ce que certains appellent « Le cliquet Monnet ». Vous déléguez une prérogative et vous ne pouvez pas la reprendre. La seule manière de se défaire de ce joug c’est le divorce complet. Ce qui est important de savoir c’est que l’Europe, dans l’état actuel d’intégration à laquelle sont arrivés les traités ne peut pas se réformer ou changer de logiciel.
Dans de telles conditions, l’accord-cadre aurait mis (et mettrait, s’il était remis sur la table) en danger le fédéralisme et la démocratie directe suisses. En effet, le droit d’initiative populaire et de référendum aurait été aboli. Donc, il ne s’agit plus d’un rapport bilatéral entre partenaires mais bien de subordination. Il est vrai que la reprise dynamique du droit communautaire laisse le référendum formellement intact. Mais, ce ne sera plus que l’ultime dernier veto pour refuser, l’adoption d’une législation européenne avec comme corollaire des mesures compensatoires en cas de refus du peuple suisse.
Nature économique et juridique de l’UE
Il est commun d’entendre que l’Union européenne actuelle serait libérale ou néolibérale. Cependant, il s’agit d’une confusion sémantique. Une entité dotée d’une banque centrale qui fixe des taux de change et des taux d’intérêts est une caractéristique des régimes communistes. Auparavant, j’ai mentionné la Coopération suisse au développement pour les pays de l’Est. Ce que font les équipes du DFAE relève principalement de ce qu’ils appellent de la déconcentration. Ils font passer des prérogatives de l’Etat central vers les entités les plus petites pour aider les pays anciennement communistes à passer à une économie de marché. Donc, les pouvoirs de décision et la responsabilité des tâches publiques et des ressources financières sont transférées à des structures étatiques décentralisées, respectivement des régions ou des communes. Ce qui est paradoxal c’est que l’Union européenne actuelle fait exactement le contraire !
En ce qui concerne la nature juridique de l’UE, il existe un moment charnière dans la construction européenne c’est l’arrêt Costa contre Enel dans lequel la Cour de Justice de l’Union Européenne a affirmé la primauté du droit européen sur les constitutions des Etats-membres. C’est un procédé furtif car il s’est fait en catimini. Le corollaire de cela, c’est un choc que certains qualifient de libéral dans l’interprétation des traités. Dans les années 2000, les juges de la CJUE ont pondu des jurisprudences systématiques en faveur du travail détaché, de la mise au ban du droit du travail dans certains pays, etc. Donc à titre personnel, j’affirme mon incompréhension quant au souhait d’adhésion à l’UE du Parti socialiste et des Verts.
L’année dernière, s’est produit un fait très intéressant avec la Cour constitutionnelle polonaise. En rappelant le primat de sa constitution sur les traités européens, elle n’a fait que rappeler qu’il n’y avait pas un peuple mais des peuples européens comme l’a rappelé la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe en 2020. Cette dernière s’est exprimée le 5 mai 2020 et a estimé que la Banque centrale européenne avait outrepassé son mandat en adoptant un programme d’achat de titres publics sur les marchés. En somme, elle reprochait à la Cour de Justice de l’Union européenne d’avoir validé l’injection massive de liquidités de Mario Draghi sur les marchés car elle est susceptible de saboter l’épargne des retraités allemands.
En ce qui concerne la Pologne, sa Cour constitutionnelle a décrété que deux articles des traités européens étaient incompatibles avec sa Constitution. Le juge polonais a dénoncé l’art. 1 et 19 des traités européens. L’art. 1er est fondamental puisqu’il rappelle que le projet européen vise une union « sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Ce concept justifie aux yeux des partisans de la construction européenne des allant supranationaux. Mais, l’art. 4 fixe des limites à l’art. 1. Il rappelle que l’UE respecte les identités nationales – la structure politique et constitutionnelle des Etats.
Il convient également rappeler le principe de subsidiarité inscrit à l’article 3ab du Traité de Maastricht qui est celui des pères fondateurs de l’UE qui dit que la subsidiarité vise à préserver la capacité d’action des Etats, qu’il faut que l’action se fasse au meilleur échelon possible et que l’UE n’agisse que lorsqu’elle peut mieux faire que les Etats. Ce principe a également été rappelé au moment du Traité de Lisbonne et prévoit pour maintenir cette distinction entre ce qui relève de l’UE et des Etats un certain nombre de mécanismes notamment la possibilité pour les Parlements nationaux de faire un certain nombre de remontrances lorsque le droit de l’UE outrepasse son champ d’action légitime. En conséquence, théoriquement, il existe des bases légales dans les traités qui permettraient de respecter le modèle politico-juridique de la Suisse mais la Commission a déjà plusieurs fois démontré qu’elle ne respectait pas les traités européens. En pratique, les traités sur la façon dont la Banque centrale européenne devait fonctionner ont été violées sous la pression des circonstances notamment en ce qui concerne la mutualisation de la dette des états membres.
Source:cet article a été publié pour la première sur le site LesObservateurs.ch le 7 juillet 2022 et a été reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur, Gjon Haskaj.