Les petits cybersoldats de la SSR au secours de la cause européiste. Nouvo, c'était vraiment mieux avant.
Nouvo, c'était vachement cool: A l'heure où la TSR euthanasiait son auditoire à grands coups de rediffusions bi-quotidiennes des 31 saisons de Top Model (7'584 épisodes, si ça c'est pas du service public...), des sujets courts sur les technologies de demain, simples, clairs, amusants et un générique qui confinait au génie pur (le tout premier donc).
Mais le mandat de la SSR n'ayant jamais été d'informer qui que ce soit de manière objective et divertissante, les têtes de pipe se succédant au faîte de la "Tour" eurent à cœur de supprimer tout ce qui pouvait former la réflexion. Ainsi des excellents Magellan, TSR Découverte et, bien sûr, Nouvo, poussés pour certains sur la "2" avant d'être purement et simplement déprogrammés, voire, dans le meilleur des cas, recalés sur le net. Sans doute fallait-il faire de la place pour Le Fond de la Corbeille...
E-volution
Bref, la vieille génération au pouvoir a tout de même fini par saisir que la télématique façon Minitel et Teletext s'était émancipée, et que ce truc appelé "l'internet" offrait au bon vieux client de la redevance un débouché alors inconnu jusque-là: l'alternative en matière d'information; voire même, pour les plus chanceux, un accès à la 'vérité' (l'autre), substance rare mais néanmoins puissamment addictive.
Passons sur la réaction légale et la nouvelle LRTV, qui rangea d'office tous les internautes au nombre des abonnés obligatoires de Billag et consorts: Si vous avez une connexion, ce n'est pas pour les emails du boulot, c'est pour regarder Esther Mamarbachi vous expliquer pourquoi vous êtes un vieux facho réactionnaire désespérant depuis le 6 décembre 1992. A ce jour, l'Etat gère 24 chaînes de TV et radio et s'apprête à forcer absolument tout le monde à payer pour son produit, consommateur ou non. La Corée du nord ne fait pas aussi bien; y'en a point comme nous !
C'est pas tout ça, même ligoté à la chaise, le client du futur n'avale plus la bouillie aussi facilement, il faut aller le chasser sur ses terres, "internet", les "réseaux sociaux". Là, c'est simple, des chaînes comme Canal+ ont montré la voie, on ramasse des starlettes du cru et on upgrade leur capacité à produire de la belle image, bien léchée en 4k HD. Bon, niveau star du tube, en Suisse romande, il faut se lever de bonne heure, il s'agit plus de vedettes de la TV, façon 26 Minutes, ne dédaignant pas un ménage ou deux et rediffusant sur Youtube pour tapiner du pay per view; il n'y a pas de petits profits.
Etre lu sur le net
Il faut saluer ici la réflexion stratégique de la RTS, qui a compris deux ou trois choses essentielles: Premièrement, Nouvo est une bonne marque, reconnue auprès de la tranche 15-35 ans, voire un peu au-delà, le seul produit s'adressant aux jeunes dans leur langue. Deuxièmement, l'internaute, inondé de flux immédiats, ressent plus qu'il ne réfléchit. Il n'est pas idiot, loin de là, il est même plus critique que jamais, mais il sélectionne avant étude. Par conséquent, la phase d'attaque est beaucoup plus courte et doit s'avérer bien plus subtile. En clair, le temps de cerveau disponible s'est énormément réduit et, si vous voulez pondre une idée dans la tête de votre cible, vous devez faire ça vite et bien, façon frappe chirurgicale. L'avantage, c'est que vous pouvez profiter de ce que ladite cible est rarement en mode analyse pure, ce qui vous permet d'insinuer sans avoir nécessairement besoin de prouver. Enfin, troisièmement, on a compris que, pour être lu sur internet, il fallait écrire... dans une vidéo. C'est ça la société de l'image, l'écrit subsistera mais au rythme de 120 images/ seconde. Vous voulez poster un argument percutant sur Facebook, faites-le dans un "mème", vous voulez développez, faites-en un film. Le procédé a déjà un nom, infographie, un petit dessin animé d'information politique, économique ou autre. Un tableau, deux stats, trois phrases, un fond sonore et c'est plié.
Comment ça marche
Dans la mesure où la brièveté est une règle fondamentale de cet art exigeant, la marge de manœuvre reste peu étendue. On ne peut poser une réflexion construite, on l'évite, d'ailleurs, le plus souvent, préférant une insinuation corrective sinon réactionnaire. Je m'explique, à ce stade de son développement, l'infographie politique est plus une réponse tactique destinée à endiguer l'hyper variabilité du net. La rédaction d'une infographie doit d'abord s'employer à répondre, à réagir, à ce qui apparaît une tendance dominante à un instant précis. C'est de la correction, de la rectification de trajectoire idéologique. C'est de cette stratégie que sont issues des AOC telles que fake news, post-vérité etc. On ne va plus vous informer, on va vous apprendre à décoder. En clair, les types qui n'arrivent plus à vous balader vont vous apprendre à douter de la concurrence. Puisque la vérité officielle ne peut plus être vraie, il n'y aura plus de vérité du tout. Tout sera faux et vous serez bien embêtés, ça vous apprendra à douter de la doxa.
Un exemple, depuis la dernière Assemblé générale de l'ASIN et son vote massif en faveur d'une réaction ferme contre les excès la libre circulation, la presse romande est en mode tranchées et sacs de sable. Les sondages se multiplient pour prouver que les Romands adorent leurs voisins européens, plébiscitent la libre circulation et font la ronde, main dans la main, autour de grands feux de joie pour saluer l'immense progrès que représentent des salaires à 2'800 francs brut.
Admettons. Reste qu'au beau milieu du tas, subsiste une donnée qui fait toujours aussi mal aux gencives, les Suisses ne veulent pas de l'Union européenne, mais alors pas du tout; 85% dans les dents.
Qu'à cela ne tienne, on va parler d'autre chose. Là, il me faut votre attention, c'est un monument. Dans une infographie de moins d'une minute, Nouvo, qui a vraisemblablement pour mandat de "réparer" l'opinion populaire sur cette question, évoque le chiffre, c'est inévitable. Elle identifie encore avec exactitude les raisons de ce profond désamour: "Brexit, crise migratoire, terrorisme". Jusque-là tout est juste. Et soudain, patatras ! Conclusion lapidaire: "93% [des Suisses] déclarent se sentir en sécurité", et ensuite, puisque l'image bouge, "Merci... L'Europe ?". Clap de fin, on remballe.
A mi-chemin des réflexions
Il convient de se concentrer. Nouvo instille ici deux idées, ou, plutôt, deux moitiés d'idées, cette suspension du raisonnement étant précisément le but recherché. En premier lieu, Nouvo induit une vision distanciée et relative de ces données statistiques, sous-entendant clairement que ces chiffres ne peuvent révéler qu'un ressentiment subjectif. En clair, les Suisses n'aiment leur pays que parce qu'il est entendu que personne n'aime l'Europe [1] et ne se sentent en sécurité que parce l'UE va mal. Ainsi, si les Suisses pensent ce qu'ils pensent, ce n'est pas en raison de ce qu'ils peuvent observer au quotidien mais le résultat d'une impression qu'ils subissent. En bon français, l'UE c'est pas si mal et les Helvètes sont des veaux manipulés par les canaux d'information divergents. Il n'y a plus de réel.
La deuxième idée est plus subtile, elle tend à répondre à la première en posant la prétention que le succès helvétique ne s'explique que par sa proximité à l'UE. On viserait donc ici à la culpabilisation d'un citoyen suisse qui profiterait du travail de son voisin européen. Ainsi, la Suisse, tiendrait - usurperait- sa prospérité de l'effort de la construction européenne. C'est la bonne vieille rengaine du bourgeois truandant le travailleur, version 2.0. Trop petite pour oser prétendre exister par elle-même, la Suisse ne devrait sa réussite qu'à une forme d'opportunisme géographique ou institutionnel. On trouve encore cette idée que, si la Suisse est sure, c'est précisément parce que l'UE est là, qu'elle lui fait frontière, écran, qu'elle la protège contre les assauts d'un monde hostile. Pas un mot, bien sûr, du naufrage de Frontex, des erreurs de l'hérésie Schengen, de la destruction du rempart lybien et de la soumission crapuleuse à l'"allié" turc, réclamant un prix par tête de migrants retenus à la Grande Porte. Non, l'UE se bat avec courage, souffre, endure, la Suisse profite.
Saluons l'effort, car c'est précisément ce qu'il faut dire, et avec le bon dosage, pour tendre à la conviction d'une adhésion de fait. Cette petite musique lancinante, que les plus anciens ont déjà entendue dans les années 90, selon laquelle la Suisse ne pourrait rien toute seule, isolée, perdue, en grave danger de tout, de rien etc. Ca dure 54 secondes et ça protège pour longtemps d'une réflexion construite qui interrogerait la pertinence de choix qui font que, partis pratiquement du même point, deux entités étatiques se retrouvent à une telle distance l'une de l'autre après moins de trente ans.
Les dogmes fondamentaux de la construction européenne sont excessifs et, surtout, erronés, et ce sont leurs conséquences qui sont sur le point d'entraîner tout un continent par le fond. L'Europe nous doit autant que nous lui devons, c'est ça la voie bilatérale. C'est la distance de sécurité que confère l'exercice de la souveraineté démocratique qui nous a préservés des maladies qu'a contractées l'UE, c'est tout ce que nous avons su conserver et qu'elle a si allègrement jeté aux orties qui fait que notre pays est aujourd'hui plus libre, plus sûr, plus démocratique, plus prospère mais aussi plus social qu'elle ne le sera jamais.
Le problème de la Suisse, c'est cette propagande d'Etat orchestrée à coups de milliards. Le moment venu, le peuple saura quoi faire, mais pour ce qui est de trouver les bonnes informations, il faudra les chercher ailleurs, car il est bien connu que la vérité est ailleurs.
Adrien de Riedmatten
Coordinateur romand.
Note
[1] C'est d'ailleurs le sens du sous-titre donné à la vidéo: "Les Suisses aiment toujours plus la Suisse. Grâce à l’Union Européenne ? 🇨🇭🇪🇺".