Le Conseil fédéral a un gros caillou dans sa chaussure : il est l’organe gouvernemental d’un peuple qui jouit de la démocratie directe. Les gouvernements des autres pays peuvent imposer aisément leur volonté au mépris, si nécessaire, de la démocratie. Mais pas le gouvernement suisse. Par exemple, quand le Conseil fédéral a voulu nous imposer l’EEE, il a été remis à l’ordre par le peuple. Et c’est bien ainsi. Mais le Conseil fédéral n’a pas encore dit son dernier mot dans l’affaire européenne et il lutte encore pour enfin se débarrasser de la démocratie directe, ce gros caillou qui le handicape tellement. Voici sa stratégie.
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Les conseillers fédéraux de 2018 ont tiré les leçons des erreurs commises par ceux de 1992. Plus questions de poser des questions frontales au peuple, comme celle au sujet de l’EEE. C’est bien trop dangereux. Pour contourner le problème que représente la démocratie, il faut soumettre des « paquets » au peuple. La stratégie a déjà été éprouvée plusieurs fois et, dans le cadre de l’accord cadre qu’exige l’UE, elle en dit long sur l’allégeance à l’UE du Conseil fédéral.
Pour ce dernier, l’équation pourrait être simple : il soumet l’exigence de l’UE au peuple au nom de la démocratie directe. Ses membres se rappellent avoir prêté serment de défendre l’indépendance et la liberté de la Suisse et recommandent par voie de conséquence de refuser l’accord-cadre avec l’UE. Le peuple refuse l’accord-cadre. Le Conseil fédéral défend ardemment la position du peuple auprès de ses partenaires étrangers.
Or, vu que le Conseil fédéral ne défend pas la position du peuple suisse auprès de l’UE mais celle de l’UE contre le peuple suisse, sa situation est compliquée. Pour servir les intérêts de l’UE, le Conseil fédéral doit trouver un petit susucre et il semble bien que ce dernier soit désormais identifié.
La stratégie d’Ignazio Cassis est de vendre conjointement avec l’accord cadre un nouveau paquet d’accord bilatéraux. Cinq secteurs seraient concernés : marché de l’électricité, services financiers, culture, santé et… abandon du roaming.
Pour rappel, le roaming est la surtaxe d’itinérance payée par les Suisses lorsqu’ils utilisent leur téléphone portable à l’étranger. Depuis 2017, le roaming est abandonné dans les pays de l’UE, les Suisses sont donc les seuls à continuer à le payer en Europe occidentale, quand ils voyagent dans un pays européen (bien que tous les opérateurs proposent des services et des abonnements permettant d’éviter des frais lors de voyages occasionnels).
En clair, le Conseil fédéral a trouvé dans l’abandon du roaming le petit suscure parfait. Tous les Suisses ont déjà vécu l’outrance expérience de devoir payer une facture affolante à leur prestataire de téléphonie mobile après un retour de vacances. A Berne, on joue la carte du consommateur contre celle de l’électeur.
On joue la dignité citoyenne que représente le droit de voter contre la logique consumériste que représente un (tout) petit avantage commerciale. Aussi pathétique que cela soit, il n’en demeure pas moins que ce calcul est machiavélique. Seul un Suisse sur deux (et encore !) fait usage de son droit de vote tandis que 99% des Suisses possèdent un natel et que probablement plus de 80% se rendent au moins une fois par année à l’étranger.
Soyons clairs, le suscure du roaming est une peccadille mais il concerne le porte-monnaie de tous les Suisses alors qu’il ne concerne plus celui des Européens. Le droit de vote est par contre de plus en plus dévalué. Non seulement le taux de participation stagne et à même tendance à diminuer, mais en plus les décisions prises par le peuple sont ensuite quand même contournées par la classe politique. A quoi bon encore voter ? Ce sentiment de résignation croît au sein de la population et le Conseil fédéral s’apprête sournoisement à s’en servir pour remettre la liberté et l’indépendance de la Suisse sur un plateau d’argent aux juges étrangers et à la Commission de l’UE.
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