En 2012, on a franchi la barre de 250'000 personnes dépendantes de l'aide sociale en Suisse ; une première dans l'histoire de notre pays. Où est alors la prospérité que les Bilatérales et la Libre circulation des personnes sont censées nous avoir apportée ? Les immigrés viennent en masse. En six mois, la Suisse a accueilli 72'000 étrangers, en majorité de l'Union européenne (Impartial, 24.07.2015 p. 14). La Libre circulation fonctionne à sens unique.
Malgré la croissance, la pauvreté ne diminue pas dans le pays. L'Office fédéral de la statistique confirme le chiffre avancé par Caritas de 750'000 personnes touchées par la pauvreté en Suisse (20 Minutes, 08.05.2012 p. 2).
L'augmentation inexorable de ces chiffres, sur une période de 30 ans, est une preuve irréfutable de la durabilité de la pénurie de l'emploi, surtout au regard du fait qu’en Suisse, ce n'est pas la croissance économique qui crée principalement l'emploi. Il n'est pas faux de dire qu'il devrait revenir alors à l'économie de réparer le dommage causé à ceux qui ne trouvent pas de travail au vu de cette pénurie organisée (avec une préférence nette en faveur des non-résidents qui peuvent accepter des salaires invivables en Suisse).
Aujourd'hui, chaque personne qui décroche un travail laisse forcément une autre en rade. Certains maudissent, à juste titre, la Libre circulation et le libre-échange débridé. Tout le monde sait ce que la Confédération (au nom des Accords Bilatéraux avec l'UE) continue à nier : que pour faire des économies de salaires, il faut engager des frontaliers à la place des habitants d'ici qui tombent alors au chômage (20 Minutes, 16.01.2014 p. 14).
Chômage et coûts de la santé
Et plus le taux de chômage est élevé, plus les coûts de la santé augmentent - le chômage provoque des maladies de toutes sortes chez ses victimes. Les statistiques montrent que les 4 cantons qui ont le taux de chômage le plus élevé sont ceux où le coût des médicaments par assuré est le plus massif. Dans le canton de Neuchâtel, le coût par personne est 30% plus élevé que la moyenne suisse (Groupe Mutuel, Login N°1 2013 p. 5 et taux de chômage selon les cantons OFS/SECO, table T2d).
De plus, il y a eu des cas où ceux qui arrivent en fin de droit se voient supprimer leurs subventions aux primes de caisse-maladie ("... Mais Monsieur, nous ne connaissons plus votre situation... ") - rien de mieux, à notre avis, pour pousser ceux qui ne demandent qu'à avoir un travail décent vers l'assistance sociale où ils préféreraient pourtant ne pas mettre les pieds...
Le fait est que cette assistance, dans le canton de Neuchâtel au moins, ressemble à une forme assez lourde de curatelle, où l'on est plus sous contrôle que libre et d'où il est assez difficile de s'extraire. Toute donation reçue, tout gain substantiel au loto ou part d'une succession va y passer (art. 43 LASoc-NE). Le nombre d'assistés dans le canton a déjà dépassé les 11'600 en 2011 (6,7% de la population) et, au fur et à mesure que leurs économies s'épuiseront, d'autres encore vont tomber dans le gouffre de l'assistance.
Destruction du tissu social
Il est bien connu que les proches de celui qui tombe au chômage prennent souvent leurs distances, mais tomber à l'assistance vaut carrément l'exclusion...
Entendu sur une terrasse : "Quoi ? Tu sors avec un chômeur ?" Une preuve de plus que ceux qui ne croient pas que chômage rime avec exclusion sociale ne sont jamais passés par là. Assez souvent, les amis se distancient. Et si nos proches nous rejettent, il faut aller ailleurs et vite. Une personne qui n'a plus de place de travail ne peut pas se reconstruire seule contre tous...
Sans gagne-pain honorable, de plus en plus de familles vont se désintégrer. La précarité de 25% de la population est telle qu'il lui faut de l'aide pour payer les primes de base de l'assurance maladie (Impartial 21.01.2011 p. 5). Ce n'est pas sans raison que le canton de Neuchâtel détient le record en matière de divorce - 54 divorces pour 100 mariages (Droit au Logement, février 2013 p. 7). Ce que nous n'avons pas cessé de dire pendant dix ans est enfin publiquement reconnu : le premier facteur de risque de divorce dans le canton est le nombre élevé de chômeurs et de bénéficiaires de l'aide sociale - (Institut de sociologie UNINE, Impartial, 26.02.2013 p. 3).
La vérité crue serait plutôt de dire que, bien qu'il existe d'autres causes de divorce, tomber au chômage ou à l'assistance est ce qui provoque tôt ou tard la désintégration du couple.
On semble aller droit vers un déchirement social progressif qui laisse beaucoup sans espoir et donnerait matière à réfléchir aux criminologues, aux psychologues et aux psychiatres...
Le manque chronique d'emplois fait qu'un segment entier de la population vit en permanence dans l'insécurité, ce qui affaiblit sournoisement la démocratie : l’on perd l’intérêt pour la chose politique lorsque chaque jour est un jour "sans" et passé un certain seuil de souffrance, soit on est cassé, soit on casse tout.
Cette angoisse incessante détruit à petit feu la santé et mène parfois au suicide, comme le confirme Isabelle Lambert, infirmière spécialisée en psychiatrie (Courrier Neuchâtelois, 04.09.2013 p. 3). En Suisse, un suicide sur 7 est ainsi expliqué (20 Minutes, 11.02.2015 p. 3). En cas de perte d'emploi, les indemnités LACI permettent de maintenir l'infortuné(e) à flots et globalement de maintenir tant bien que mal le flux d'argent dans l'économie en cas de crise. C'est pourquoi tout démantèlement de l'assurance-chômage est néfaste non seulement pour la population mais aussi pour l'économie au sens large.
La fin de l'égalité des travailleurs
Un démantèlement a été opéré sous le nouveau droit en vigueur au 1er avril 2011 par le raccourcissement brutal de 40% dans la durée des indemnités LACI contre le chômage. Pour retrouver du travail dans les délais, il faut être prêt à accepter un salaire de frontalier (Impartial, 14.11.2009). Un employeur peut aller jusqu'à 20% en dessous des tarifs en vigueur sans que cela ne soit considéré comme du "dumping". Et pour faire taire les critiques, le gouvernement a créé une Commission tripartite censée lutter contre ces abus, mais qui n'a jamais eu le moindre pouvoir (rappel dans l'Impartial, 11.02.12 p. 2). Dans la construction, c'est une association privée, l'observatoire des commissions paritaires des métiers du bâtiment, qui a pris les rênes. Sur 316 contrôles dans le canton de Neuchâtel, l'association a trouvé 114 chantiers en infraction. Dans 13 cas, les ouvriers ont collectivement pris la fuite devant les inspecteurs (Impartial, 08.09.2015 p. 12). Ce ne sont pas des cas isolés car, même deux ans après, sur plusieurs chantiers, les ouvriers, qui n'ont ni contrat de travail ni autorisation de séjour, continuent de fuir devant les contrôleurs (20 Minutes, 19.05.2017 p. 5).
Il est courant, sur un chantier suisse, que l'entrepreneur général confie des travaux/matériaux à une autre société, qui fait de la sous-traitance plus loin à meilleur marché pour conserver ses marges, et ainsi de suite. Quand, enfin, des briques fabriquées en Pologne arrivent de France sur des camions conduits par des Roumains, et que le travail se fait par des Albanais sans même que l'entrepreneur général soit au courant, il y a un petit problème...
Chaque société, dans la chaîne de sous-traitance, fait des bénéfices au passage et les ouvriers se retrouvent avec des salaires de misère, souvent dans l'illégalité. Les travailleurs et les matériaux suisses sont exclus (chômage) et tout contrat qui empêche cette exclusion viole les règles de la libre circulation imposées par l'OMC et par l'UE... (Impartial, 20.05.2017 p. 19).
Ce n'est pas pour rien qu'un employeur à Genève a ouvertement déclaré "Sans frontaliers, je peux fermer boutique !" (20 Minutes, 23.05.2011 p. 7). Un grand nombre d'entreprises maintiennent leurs marges uniquement par un pourcentage croissant d'emplois aux salaires bradés. Déjà en 2007, Dixi employait 40% de frontaliers, et, chez d'autres, la pratique est très courante (Impartial, 22.03.2007 p. 3 et 23.03.2007 p. 11). Certaines entreprises - et pas seulement dans le canton de Neuchâtel - n'emploient que des frontaliers (20 Minutes, 31.08.2011 p. 5). Vu sous cet angle, c'est un non-sens de prétendre, comme le fait le SECO, que la libre circulation est bénéfique (20 Minutes, 27.05.2011 p.3). C'est le même message de mauvaise foi qu'en 2008 (Impartial, 04.11.2008 p. 27) qui réduit sa crédibilité à néant en prenant pour conclusion "qu'il n'y a pas eu éviction de travailleurs suisses".
Un problème supplémentaire est que, sous le nouveau droit, les places de travail/occupation offertes par les cantons comme mesures de réinsertion n'ouvrent nullement un droit aux indemnités-chômage lorsque le contrat se termine, au contraire d'un travail "normal" - art. 23 al.3bis LACI (RS 837.0). Un travail qui n'est pas du travail : encore une idiotie digne de Kafka...
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