La quadrature du cercle a été invoquée à de nombreuses reprises pour qualifier le défi qui allait attendre le Conseil fédéral dans ses négociations avec l’UE concernant l’application de l’initiative du 9 février 2014.
Il eût été souhaitable que ce fût le cas. Or, les récents événements ont démontré qu’il n’en est rien.
Durant les trois années qui ont suivi l'acceptation de l'initiative, le Conseil fédéral a montré qu'il était plus préoccupé par le dossier institutionnel que par la mise en œuvre de la Constitution. Pourtant, ce ne sont pas les arguments qui faisaient défaut au CF pour obtenir une concession de la Commission européenne.
Petit rappel des chiffres :
Depuis 2007, la Confédération a investi 1,257 milliards de francs dans la coopération au développement de l’UE élargie. A cette somme s’ajoute un autre milliard et des poussières, consacré au même dessein pour la période 2013-2016, montant réparti entre les anciennes républiques soviétiques, la Bosnie, le Kosovo, l’Albanie, la Macédoine et la Serbie; ces trois derniers étant officiellement candidats à une adhésion à l’UE.
La Suisse a gagné le droit de... payer
Ces sommes sont conséquentes. Toutefois, les Conférences de coopération avec les pays de l’Est, qui se tiennent annuellement, permettent de prendre conscience que l’argent du contribuable est bien dépensé, mais, surtout, que le savoir suisse est précieux et particulièrement apprécié par les intellectuels locaux. Cet état de fait contraste, est c’est un euphémisme, avec la mission européenne chargée d’instaurer un état de droit au Kosovo (EULEX). L’incapacité de mener à bien la tâche qui lui est assignée s’ajoute à de régulières accusations de corruption, même au sein de sa propre mission.
Le renouvellement de la contribution suisse dans les Balkans demeure incertain, en atteste cette déclaration de 2015 :
« Le Conseil fédéral considère qu’un éventuel renouvellement de la contribution autonome à l’élargissement ne peut être décidé qu’à la lumière de l’évolution des relations globales entre la Suisse et l’UE. Le déroulement des négociations en cours pour consolider et rénover la voie bilatérale, comme le veut le Conseil fédéral, et l’émergence d’une solution à la question de la libre circulation des personnes constituent à cet égard des facteurs cruciaux. »
Oui, vous avez bien lu. Maintenant que la Suisse a trouvé une “solution” compatible avec l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), elle a gagné le droit de renouveler sa contribution à l’élargissement. Le grand Walter Stücki, qui avait mené des négociations d’une main de fer avec l’Allemagne nazie, doit se retourner dans sa tombe.
L'arbitrage de la Cour européenne
Un document concernant l’accord-cadre permet de dissiper tout doute concernant la nature contraignante de l’avis de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en cas de reprise automatique du droit. En effet, on peut notamment y découvrir la chose suivante :
« Bien que la décision finale quant au règlement des différends entre les deux parties revienne au Comité mixte, la nature contraignante de l'avis de la CJUE ne change pas pour autant. Pour la Professeure Tobler, tout est question de présentation : en raison du référendum obligatoire auquel, sans doute, sera soumis le projet d'accord sur les questions institutionnelles entre la Suisse et l'UE, il est important de dire au peuple que c'est au Comité mixte que reviendrait le dernier mot « politique ». La vérité est que le juge de Luxembourg dit le droit et son avis consultatif aura un caractère contraignant. Pour s'en assurer, il convient de revoir les deux avis de la CJUE à propos de l'EEE. »
Limpide. Nombreux sont ceux qui se sont offusqués que l’initiative de la primauté du droit suisse s’en prenne directement à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Ceux-là même qui souhaitent impérativement un rattachement de la Suisse à l’UE et, ipso facto, aux avis contraignant de la CJUE se sont-ils demandés si la Cour du Luxembourg faisait partie de la CEDH ?
Si c’eut été le cas, elle aurait peut-être évité, en 2015, de refuser de garantir que les empreintes digitales rassemblées sur le fondement du règlement n° 2252/2004 (relatif aux passeports biométriques) de l’Union Européenne ne soient pas utilisées à des fins autres que la délivrance d’un passeport ou autre document de voyage biométrique.
Pour rappel, le peuple suisse avait accepté, en mai 2009, a une courte majorité, ledit règlement soumis au référendum suite aux craintes que les données contenues dans les passeports biométriques puissent être utilisées à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été transmises. Las, il convient de constater que leurs craintes était fondées. Ceci reste un exemple probant de ce qui est susceptible de se produire en cas de reprise automatique du droit européen.
Cession de souveraineté
Indépendamment de la problématique liée à la CEDH ou de la légitimité des directives européennes, le site de l'UE nous annonce tranquillement que la Suisse participera au traité transatlantique en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis d’Amérique. En effet, on peut lire que:
« En tant que partenaire important de l'UE et des Etats-Unis, la Suisse sera inévitablement touchée par l'accord. Le Secrétariat d'Etat à l'Economie (SECO) confirme d'ailleurs les résultats prometteurs annoncés par le CEPR puisque selon deux études, la croissance pourrait atteindre jusqu'à 2.9%. »
Le Conseil fédéral est susceptible de faire passer l’accord en tant que simple traité de libre-échange pour qu'il ne soit pas soumis au référendum. Si c'est le cas, l'initiative d'Uniterre « pour la souveraineté alimentaire » risque de rester lettre morte, à moins que le droit suisse ne prime le droit international, notamment à cause des normes alimentaires américaines. Il n'est dès lors pas surprenant que le Conseil fédéral ait rejeté l’initiative sans y proposer de contre-projet. Il a définitivement décidé de brader la souveraineté suisse.
La quadrature du cercle n’aura donc pas lieu. Le Conseil fédéral est, bien malgré lui, prisonnier d’une bulle temporelle où le temps est soit resté figé soit avance au ralenti, la grande majorité des suisses ne souhaitant pas adhérer à l’UE contrairement à la situation qui a prévalu au début des années nonante. C’est donc bien de l’extérieur que la bulle devra éclater.
Gjon Haskaj