Vieux de la vieille devant l'Eternel, 24 ans de Conseil national, journaliste, président du parti libéral pendant sept ans, l'une des bêtes politiques les plus influentes de son temps, principal artisan de l'horizon bilatéral, suisse et européen convaincu, Jacques-Simon Eggly fait toujours face à ses détracteurs avec la même constance. Pas un mot, une inflexion, qui laisserait la moindre place pour le regret. Droit dans ses bottes, ce grand prince du libéralisme du bout du lac défend son bilan becs et ongles. L'ASIN rouvre le ring le temps d'une soirée, Le conseiller Eggly rechausse les gants pour affronter la bête noire par excellence, le bourreau de Béthune de la cause européiste, l'irréductible Christoph Blocher, le 18 septembre prochain, au Grand-Saconnex. Une façon comme une autre de se rappeler que, si c'est déjà demain, c'est encore un peu hier.
Interview exclusive :
ASIN : En tant que forgeron de la libre circulation, comment voyez-vous ces 15 dernières années ?
M. Jacques-Simon Eggly : J'en tire un bilan positif. Cela semblait mal parti après le rejet de l'EEE en 1992. Les négociations bilatérales et les accords obtenus ont contribué à relancer notre économie et à nous brancher sur un marché européen vital de 5oo millions de personnes.
ASIN : La libre circulation représente-t-elle vraiment un avantage pour tous en Suisse ?
JSE : On peut relever quelques points négatifs. Mais globalement, pour nos entreprises, nos établissements publics, notre monde académique, notre recherche le bilan est largement positif.
ASIN : Que répondez-vous à ceux, chômeurs, bénéficiaires de l'aide sociale, qui se sentent victimes de la libre circulation ?
JSE : Encore une fois, globalement , cet accord a été bénéfique et a donc contribué à ce que notre taux de chômage soit faible. Le rejeter à cause de tel ou tel aspect, qui méritent certes d'être abordés, serait, comme disent les Alémaniques, jeter le bébé avec l'eau du bain.
ASIN : Faut-il restreindre l'accès aux aides sociales pour les ressortissants européens ?
JSE : Il faut respecter l'égalité de traitement mais faire la chasse aux profiteurs, ce que font aussi des pays de l'UE.
ASIN : Selon vous, les partis de droite pourraient-ils s'accorder sur un meilleur contrôle de la Libre circulation ?
JSE : Oui, sans doute, en entente avec les partenaires sociaux et les cantons. Il faut en tirer les bénéfices et en diminuer le plus possible des conséquences négatives résultant d'abus. Mon parti, le PLR , me paraît clair là dessus.
ASIN : La Libre circulation ne semble pas faire l'unanimité au sein du PLR genevois, pour quelle raison ?
JSE : Je crois que les voix qui La remettent en cause sont très minoritaires. Ces voix se polarisent trop sur ces aspects négatifs et oublient la culture d'ouverture de la famille libérale.
ASIN : Créée à l'époque où Suisse et UE n'avaient que 3 accords bilatéraux (aujourd'hui 120), la "clause guillotine" n'est-elle pas une mesure d'un autre temps ?
JSE : La clause guillotine ne concerne que les sept accords bilatéraux adoptés par le peuple suisse en 2000. Ce n'est pas rien évidemment et le risque est réel. Mais les nombreux accords antérieurs ne sont pas touchés ni ceux adoptés plus tard en 2004. Rappelons que si le risque existe le déclenchement de guillotine n'est pas automatique. C'est l'UE qui déciderait si oui ou non elle annulerait les six autres accords avec la Suisse en cas de résiliation par cette dernière de l'accord sur la libre circulation. Mais, évidemment, la libre circulation est un élément clé dans le fonctionnement de l'UE, donc pour sa relation avec un pays partenaire.
ASIN : Un système plus direct, plus flexible, serait-il envisageable ?
JSE : L'UE n'a pas intérêt à couper les ponts avec la Suisse. C'est vrai, même si il y a des rigides à Bruxelles, comme chez nous, d'ailleurs. Des accords techniques au coup par coup sont certainement négociables. Toutefois, si nous voulons, dans la durée, ne pas être discriminés sur le marché européen, vital pour nous, il faut vraiment entrer en matière sur cet Accord-cadre, qui puisse définir un mécanisme de résolution des différents. Il ne faudrait pas que dans un contentieux concernant par exemple une entreprise suisse, nous soyons moins bien traités qu'un pays membre de l'Union plaidant pour une entreprise de chez lui devant la Cour européenne. Il y a donc un vrai sujet de négociation sur ce point. Il faudra négocier fermement et non pas crier au scandale, aux juges étrangers, avant même d'avoir compris les mécanismes possibles.
ASIN : Comment voyez-vous l'avenir des relations bilatérales ?
JSE : C'est la seule voie possible actuellement et dans l'avenir visible. On n'en est pas, dans l'Union, à des adhésions différenciées. Donc, en l'état, ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni le peuple et les cantons n'envisagent autre chose qu'une poursuite de la voie bilatérale, en défendant de près les intérêts institutionnels et économiques de notre pays. L'isolement de la Suisse aurait des conséquences graves.
ASIN : Que pensez-vous de l'ASIN ?
JSE : Je la respecte, tout comme je respecte l'UDC. Mais je relève que ces mêmes milieux qui ont voulu rejeter l'EEE et demander que l'on suive une voie bilatérale ne cessent de nier les acquis obtenus par cette voie et de distiller la méfiance à son égard. Je le regrette.
Propos recueillis par Adrien de Riedmatten