Y a-t-il encore une place pour les peuples en démocratie ? La question reste légitime au vu des innombrables manœuvres d'évitement qui ne cessent de se multiplier à la surface du globe.
Prenons un exemple concret, le Royaume-Uni : 1993, adhésion à marche forcée, les conservateurs demandent un référendum, le Parlement impose le traité de Maastricht sans ciller. Gueule de bois des lendemains qui déchantent – forcément – et plus de deux décennies de lutte pour accéder enfin à ce vote d'autodétermination populaire tant attendu, le Brexit.
Dans les faits, la gauche travailliste réclamait un référendum sur une éventuelle sortie de la CEE en 1983 déjà. Trente-trois ans pour parvenir à un vote, bienvenue en démocratie...
La campagne fut ce que ce genre de choses sont le plus souvent, l'axe politico-médiatique s'en donna à cœur-joie pour qualifier de xénophobes, racistes et fascistes, les quelques malheureux n'ayant que le tort de demander que la démocratie puisse trancher ; étrange géométrie des aversions.
Après le résultat, c'est la consternation, l'UE ne passe décidément pas l'épreuve des votations populaires. En Europe, on fait mine d'accepter le résultat ; baise la main que tu ne peux mordre. Et pourtant, cette victoire, acquise de haute lutte, semble n'avoir eu jusqu'ici que peu d'effet. Une anti-Brexit, Theresa May, est nommée premier ministre, elle ne tarde pas à annoncer que le Royaume-Uni continuera d'intégrer le droit européen1 et de participer au budget communautaire comme si de rien n'était2. L'on s'attend d'un instant à l'autre à voir bondir le spectre de Margaret Thatcher hululant dans la brume des nuits de Londres : « I want my money back ».
Démocratie qui dérange
Intégration du droit et subventionnement à l'aveugle, la chose ressemble à s'y méprendre à la recette concoctée par M. Barroso et Mme Widmer-Schlumpf pour mettre la Suisse en coupe réglée. Et que penser des garanties décoratives avancées timidement par un Didier Burkhalter – qui n'y croit pas lui-même – pour sauver le particularisme de cette « démocratie alpine frustrante »3 qu'est notre pays ? Ce ne sont, bien sûr, pas les Alpes qui posent problème dans le paysage, mais ce recours systématique à l'expression populaire, à plus forte raison pour des super-puissances qui n'ont de démocraties que le nom. Rappelons que le Président des Etats-Unis n'est pas élu par le peuple mais des "super-électeurs", lesquels, dans 24 états, ne sont théoriquement pas liés par le vote populaire4. La Commission européenne, quant à elle, n'a jamais rencontré le suffrage populaire, son président et ses 28 commissaires étant nommés par les chefs d'Etats des pays membres, le "Conseil européen". Depuis le traité de Lisbonne, ledit Conseil procède « en tenant compte du résultat aux élections au Parlement européen »5 ; qui dit mieux ?
Vers un putsch parlementaire ?
Il va de soi que le succès, même relatif, de notre démocratie directe est une accusation perpétuelle pour les affres de ces parodies mondialisantes. Le changement de climat, de la tolérance vers la défiance puis l'hostilité déclarée, se fait d'ailleurs toujours plus présent. Les avertissements se multiplient à l'adresse du peuple suisse, docilement relayés par certaines de nos autorités avec la complicité entendue de notre média d'Etat. En décembre 2013, c'est sans broncher que la RTS recevait, de la bouche de la commissaire Viviane Reding, cette affirmation lourde de sens à l'adresse du peuple suisse : « Il n’y a plus de politiques intérieures nationales »6. Pas plus de réaction quand la député européenne Astrid Lulling explique que l'UE a « négocié des conventions bilatérales avec la Suisse pour, quand même, réparer ce que son peuple avait très mal compris » et s'exclame, dans le même élan : « Heureusement que nous n'avons pas de référendum, parce que je ne sais pas ce que ça donnerait chez nous »7 ; c'est clair.
Pas un mot, non plus, quand l'UE contraint, sous peine de poursuites, les Etats européens à intégrer la directive BRRD8 forçant le chypriotage des comptes et le vol, ni plus ni moins, de l'épargne de ses concitoyens pour renflouer les banques déficitaires. Pas un son quand elle donne un délai de trois jours à la Belgique pour dire oui au CETA, le traité de libre-échange avec le Canada9. La RTS, au contraire, prépare le changement de régime en nous serinant doucereusement que, selon un grand professeur de « Paris 8 », le référendum – la démocratie donc – est la nouvelle arme du « national-populisme » (sic) et que « cet instrument devrait s'accompagner d'une réforme plus large du système politique dans les pays où la démocratie fonctionne mal, au risque qu'il soit mal utilisé, voire orienté par des courants extrêmes »10. En clair, supprimons la démocratie directe pour lutter contre le fascisme. « La démocratie, ce n'est pas seulement la démocratie directe », s'écriait il y a peu Jean Quatremer, journaliste à Libération sur cette même antenne11.
Continuer d'exister
Le programme de la dissolution de notre système démocratique dans le parlementarisme a déjà été décrit par M. Barroso dans sa lettre comminatoire à Mme Widmer-Schlumpf : un « cadre horizontal » impliquant un « mécanisme juridiquement obligatoire » ne tolérant aucune « exception » en raison du besoin d' « homogénéité du droit » européen12. Horizontal donc non démocratique, obligatoire pour ne plus jamais être remis en cause par quelque peuple que ce soit.
L'urgence est réelle, les années à venir seront décisives pour le sort de la Confédération et notre destin en tant que peuple souverain. Notre histoire ne fut que celle d'une lutte pour exister, existence que l'on ne nous a concédée que lorsque nous sommes venus la demander les armes à la main. Or, la liberté, l'indépendance et la souveraineté sont autant de choses qui se perdent facilement quand elles ne sont plus défendues.
Adrien de Riedmatten
1 RTS info 01.10.2016.
2 Financial Times 16.10.2016.
3 « [Switzerland is] a very successful but frequently frustrating alpine democracy. » Note de Peter Coneway, ambassadeur des Etats-Unis en Suisse, révélée par le site Wikileaks en 2010.
4 U.S. National Archives and Records Administration 2000. Les élections présidentielles de 2000 en constituent un exemple reconnu, le Collège électoral n'avait pas élu le candidat ayant recueilli la majorité des suffrages populaires (Al Gore). Et cela sans parler de la méthode du winner-takes-all (le vainqueur prend tout) qui attribue l'intégralité de ses grands électeurs au candidat majoritaire, supprimant de fait la proportionnalité du vote.
5 Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne du 13 décembre 2007, C2007/306/01, art. 9D al. 7.
6 RTS Forum 13.12.2013.
7 RTS Forum 10.02.2014.
8 Pour Bank Recovery and Resolution Directive. Cf. Communiqué de presse de la Commission européenne du 31 décembre 2014.
9 Rtbf.be 18.10.2016.
10 RTS info 19.10.2016.
11 Cf. supra note 7.
12 Lettre de SE José Manuel Barroso à la présidence de la Confédération du 21.12.2012.